Forum des As n°3803 du vendredi 18 Février 2011

LES NON-DITS D’UNE INITIATIVE VISANT APPAREMMENT A FRAGILISER L’OPPOSITION A LA PRESIDENTIELLE 2011

Tshisekedi monte les enchères

A en croire certains analystes, le leader de l’UDPS chercherait en réalité, à travers sa démarche solitaire, à réduire les prétentions de ses partenaires politiques.

Autant Etienne Tshisekedi a suscité beaucoup d’espoirs dans le camp de l’Opposition dès son retour à Kinshasa, autant sa démarche suscité beaucoup d’inquiétude dans l’opinion en général et, en particulier, parmi ses partenaires politiques qui souhaitent ardemment que les opposants fassent bloc pour affronter la Majorité tant au scrutin présidentiel qu’à la bataille parlementaire. Quel sens faut-il donner à l’initiative du leader de l’UDPS qui semble s’inscrire dans un processus visant à affaiblir l’Opposition en cette année électorale ?

Je n’ai pas lutté vingt ans pour laisser ma place à un autre. C’est pour rester, prendre le pouvoir et instaurer un Etat de droit… je n’accepterai aucun compromis dans ce sens-là. Celui qui n’est pas d’accord avec le programme de l’UDPS est libre de faire ce qu’il veut, il n’est pas obligé de faire plate-forme avec l’UDPS. Mais, l’UDPS est préparée à se présenter aux élections et à les gagner.

Lâchée au moment où personne ne s’y attendait, cette déclaration du leader de l’UDPS est au centre d’une vive controverse au sein de l’Opposition. Car, au terme du regroupement initié par le Député Jean Claude Vuemba, en sa qualité de Président du Mpcr, cette initiative visant à regrouper les forces de l’Opposition avait pourtant été bien accueillie par Tshisekedi lui-même (UDPS), Muamba (MLC), Kamerhe (UNC) et par plusieurs autres partis et personnalités.

QUID DE L’ORIGINE DE LA DEMARCHE ET DE L’ADHESION DES PARTENAIRES ?

A en croire des sources proches de l’Opposition, l’idée aurait été émise pour la première fois par le député Jean Claude Vuemba en 2009 pour recueillir par la suite l’adhésion de la plupart des partis de l’Opposition. Cette initiative aurait atteint sa vitesse de croisière avec la lettre de transmission du compte rendu des différents contacts de l’élu du territoire de Kasangulu avec la famille politique de l’Opposition, avec un projet de communiqué conjoint pour inviter les partis, personnalités politiques, mouvements associatifs et Ong qui se reconnaissent de l’Opposition politique à se faire identifier.

Un bureau a même été ouvert à Ngiri-Ngiri pour réaliser cette opération. La plupart des partis, indique-t-on, ont favorablement réagi à l’initiative en proposant leurs amendements comme pour accélérer le processus du rassemblement des forces de l’Opposition politique. Mais, c’était sans compter avec la réaction de Tshisekedi qui semble avoir désavoué et l’initiative et son auteur.

Ce qui pousse certains partis de l’Opposition à se poser plusieurs questions au risque de prendre rapidement acte de la déclaration de l’UDPS et se déterminer en conséquence. On en vient même à se demander si le leader de l’UDPS, a travers sa démarche, ne tenterait-il pas de diviser l’Opposition pour ainsi offrir tout un couloir électoral à Joseph Kabila, le seul candidat de la majorité, là où l’Opposition politique devrait s’accorder sur une candidature unique au scrutin présidentiel à un seul tour en commençant par se réunir autour d’un programme, quitte à définir par la suite, le leadership humain afin de convenir ensemble, au terme d’un consensus  du candidat à présenter face à Joseph Kabila.

Voilà qu’à la place des principes acceptés par bon nombre d’opposants dont François Muamba (MLC), Vital Kamerhe (UNC), Tshisekedi lui-même qui en avait conféré avec Jean Claude Vuemba et bien d’autres personnalités, fait voit-face. Qu’est ce qui s’est passé pour que le « lider maximo » et son parti se démarquent de la démarche collective pour imprimer une initiative jugée solitaire au risque même de renvoyer aux vestiaires tous les partenaires politiques ?

LES NON-DITS D’UNE DEMARCHE TENDANT A AFFAIBLIR L’OPPOSITION

Il ressort du regroupement des informations en notre possession que le leader de l’UDPS n’aurait fait, en réalité, que faire monter les enchères pour réduire les prétentions de ses partenaires qui, forts de l’expérience du passé, avaient entrepris de mettre des garde-fous pour se donner des garanties et ainsi s’assurer de l’adhésion du parti d’Etienne Tshisekedi à l’initiative du regroupement de l’Opposition. Comme l’indiquait le député Gilbert Kiakwama, « Tshisekedi doit nous dire ce qu’il compte faire, non pas à travers la télévision ou la radio, mais au cours d’une rencontre sincère ». A en croire certains analystes, c’est justement pour éviter d’être pris en « otage » par ses partenaires que Tshisekedi place la barre très haut pour obliger les autres opposants à lui accorder un chèque en blanc. Mais là où le bât blesse, c’est lorsque le leader de l’UDPS donne l’impression de se retrouver en face de ses enfants et de ses petits enfants qui lui doivent tout et auxquels il ne doit rien en retour. Ce qui rappelle, en 2003, le poste de vice-président de la République attribué à Arthur Z’ahidi Ngoma simplement parce que Tshisekedi avait refusé d’en discuter d’abord avec ses partenaires à qui il demandait de le désigner comme un ayant-droit en son absence.

L’histoire étant un éternel recommencement, à travers sa démarche, Tshisekedi, une fois de plus, semble recourir à la même démarche en se faisant passer pour le candidat naturel de l’Opposition grâce à ses 30 ans de lutte. Une attitude cavalière qui risque, à la longue de pousser les autres partis de l’Opposition à tirer les conséquences, surtout lorsqu’on sait que le programme de l’UDPS est loin de faire l’unanimité au sein de l’Opposition.

Or, hormis le scrutin présidentiel, la grande bataille se situe au niveau des élections législatives où il faut remporter assez de sièges pour prétendre gouverner. De plus, face à la Majorité où les différentes autorités morales entendent laisser Kabila seul à la présidentielle 2011 en échange d’une liste commune aux législatives, l’Opposition devrait saisir l’occasion pour s’accorder sur une programme commun, une candidature unique et une liste commune pour maximiser ses chances de réussite.

Aucun Parti ne peut seul gagner les élections face à la Majorité plus que jamais unie.

Contrairement à la position de l’UDPS, les analystes sont d’avis qu’aucun parti ne peut seul gagner les élections. Mais, c’est ensemble que l’Opposition peut espérer faire mouche. Dès lors, l’option selon laquelle tous les autres partis doivent rejoindre l’UDPS ne semble pas tenir compte de la réalité qui confirme l’émergence d’autres forces politiques au sein de l’Opposition. Si Tshisekedi garde encore son aura dans les deux Kasaï, dans une partie de Katanga et dans une partie de Kinshasa, la tâche ne lui sera pas aisée, confie-t-on, dans le Bas-Congo où l’on se rappellerait qu’il avait refusé à Kasa-Vubu l’occasion d’aller se faire soigner à l’étranger en 1968-1969, sans compter la psychose d’une domination kasaïenne qui inquiète parfois d’autres provinces de la RDC. En outre, Etienne Tshisekedi ne peut pas se prévaloir des provinces de l’Equateur et du Bandundu. Pas besoin de parler de l’Est de la RDC.

Pour sa part, Jean Pierre Bemba fait face à un grand obstacle : sa détention à la Cour Pénale Internationale (CPI). Ce qui place le secrétaire général du MLC, François Muamba, en bonne position pour combler le vide laissé par l’absence du « Chairman ». Pour sa part, Vital Kamerhe ne semble pas encore s’être enraciné dans l’Opposition pour espérer affronter Kabila seul, sans l’apport des partenaires à la présidentielle. Même s’il semble bien coté à l’Est avec une forte sympathie au Katanga, dans les deux Kasaï, au Bandundu, à l’Equateur, à Kinshasa et dans une partie du Bas-Congo. Ce polyglotte aurait l’avantage d’avoir commencé son combat au perchoir de l’Assemblée Nationale où il était critiqué autrefois parce qu’il faisait la part belle à ses « amis » de l’Opposition dont Gilbert Kiakwama, François Muamba, Charles Bofassa, Jean Claude Vuemba, Roger Lumbala, Lisanga … Bref, aucun opposant ne peut seul gagner la bataille électorale.

TSHISEKEDI S’INSCRIRAIT-IL DANS UNE LOGIQUE VISANT LA VICTOIRE DE JOSEPH KABILA EN 2011 ?

Au nombre des critiques formulées contre la démarche du leader de l’UDPS, on met en exergue le fait de ne jamais aviser ses partenaires sur sa démarche pour les rassurer, quelle que soit la déclaration destinée à la consommation des combattants de son parti. C’est cette élégance politique qui lui ferait grandement défaut là où, en vieux routier de la politique, Tshisekedi devrait parfois s’humilier pour amener les autres à s’adhérer à sa vision. Plutôt que de donner l’impression de se comporter en un chef coutumier assis dans sa cour attendant que ses sujets défilent pour lui exposer leurs problèmes, le leader de l’UDPS gagnerait beaucoup en faisant le premier pas au point de surprendre les autres partenaires en leur rendant visite chez eux.

Arrivé au crépuscule de sa carrière politique, Etienne Tshisekedi devrait éviter de s’enfermer dans la logique selon laquelle le soutien de tous les autres partenaires lui est d’office acquis. Car, renseigne un vieux dicton bien connu, autres temps, autres mœurs.

Car, après avoir lutte 30 ans durant, quel héritage politique entend-t-il léguer à la postérité s’il n’arrive pas, jusqu’à ce jour, à respecter ses partenaires ? En un mot comme en mille, Etienne Tshisekedi devrait éviter de ressembler dans l’Opposition, au plus grand commun diviseur là où Joseph Kabila passe au sein de la Majorité, pour un grand rassembleur.

D’ailleurs, au stade actuel, bon nombre d’observateurs s’accordent à dire que le rassemblement de l’Opposition passe par le consensus autour d’un programme commun avant d’envisager leadership humain. Renvoyer ses partenaires aux études ne garantira jamais à l’UDPS d’obtenir gain de cause. A moins que la démarche de l’UDPS et de son président ne s’inscrivent, en réalité, dans une stratégie politique visant à disqualifier d’avance les forces d’Opposition pour contribuer à la victoire de Joseph Kabila en 2011.

Marcellin MANDUAKILA