Questions directes à Jean-Claude VUEMBA

Questions directes à Jean-Claude VUEMBA

Député national, président du MPRC (Mouvement du peuple congolais pour la république), 2ème vice-président du groupe parlementaire «UDPS et Alliés», Jean-Claude Vuemba Luzamba a séjourné cette semaine à Bruxelles. Il a accordé un entretien à Congo Indépendant. Selon lui, «le Congo-Kinshasa est confronté à une grave crise politique».

Pourquoi avez-vous quitté le groupe parlementaire «Forces acquises au changement» (FAC) pour mettre sur pied un groupe parlementaire «UDPS et Alliés» ?

La majorité des parlementaires du groupe UDPS/FAC ont réalisé que ce groupe desservait les intérêts de l’UDPS. Ce constat a été fait notamment lors des discussions sur la désignation du porte-parole de l’opposition ainsi que celle des membres du Bureau de la Commission électorale nationale indépendante. Fort de l’expérience "néfaste" d’Arthur Z’Ahidi Ngoma (Ndlr : lors de la désignation du vice-président de la République de la composante opposition politique), l’UDPS n’entend plus se laisser distraire par rapport à ce qui lui revient. Le changement de dénomination du groupe a été décidé par 80% des députés de l’UDPS/FAC. En dépit de la controverse née autour de cette mutation, le nouveau groupement, présidé par Samy Badibanga, a été reconnu lors de la plénière de l’Assemblée nationale.

Que faites-vous en Belgique ?

Je ne viens jamais ici pour faire du tourisme. Je suis là pour «consulter» des autorités belges. Vous comprendrez que je me garde de citer des noms des personnalités que j’ai pu rencontrer. Après la Belgique, je vais me rendre en France. Certains collègues ont entrepris une démarche analogue en Amérique et en Afrique. L’objectif est de faire savoir à nos interlocuteurs le bien-fondé et ce que nous attendons du«Dialogue congolais».

L’opposition politique va-t-elle participer à ces «Concertations nationales», selon la terminologie officielle ?

Comme vous le savez, une semaine après avoir annoncé la «victoire» de M. Kabila sur le président élu Etienne Tshisekedi, je n’ai jamais cessé de demander un dialogue direct et franc entre Messieurs Kabila et Tshisekedi.

De quoi doivent-ils parler ?

Il faut régler le "contentieux électoral". Comment voulez-vous que le pays fonctionne de manière harmonieuse devant une telle situation ? Tous les observateurs savent que c’est Etienne Tshisekedi wa Mulumba qui avait remporté l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. En dépit de cette évidence, le président de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), Daniel Mulunda Ngoy, et la Cour suprême de justice ont attribué la victoire à Joseph Kabila. Il faut des concertations entre les deux personnalités pour apaiser le climat politique.

Comment ?

Le constat est là : le pays est bloqué.

Préconisez-vous un partage du pouvoir à la Kenyane ?

Nullement ! Même si l’opposition participait aux concertations, il ne sera pas question d’un partage du pouvoir avec un M. Kabila finissant. Les forces politiques de l’opposition doivent laisser la majorité présidentielle et M. Kabila assumer leur échec. Ainsi, une véritable alternance pourra éclore en 2016 surtout que l’actuel président sortant ne pourra pas se représenter conformément à l’article 220 de la Constitution. Cet article est immuable et non-négociable.

A propos de la Constitution, d’aucuns prêtent à «Joseph Kabila» l’intention de modifier l’article 220 en ce qui concerne le nombre et la durée des mandats du président de République...

J’estime extrêmement grave qu’il n’y ait aucune personnalité pouvant afficher ses ambitions pour succéder à Joseph Kabila. Cela est vrai tant dans la plateforme politique dite «Majorité présidentielle» que dans le parti présidentiel, le PPRD. Ce fait sous-entend que la majorité présidentielle souffre d’un déficit de leadership. Il est clair que les articles 70 et 220 de la Constitution ne seront revisités sous aucun prétexte. M. Kabila lui-même doit se regarder devant sa glace pour se souvenir de ce qu’il avait dit après le référendum constitutionnel de 2005 : «La Constitution a été plébiscitée par référendum avec 80%». Huit années après, il a oublié ces propos et tente de faire n’importe quoi. C’est hors de question ! Dans une récente interview publiée le 16 juillet sur RFI, le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku a dit que «le président de la République Joseph Kabila a toujours respecté la Constitution» et qu’«il va respecter la Constitution». Cette phrase a provoqué la «débandade» dans le camp présidentiel. Il y a des groupes de gens qui ont failli en venir aux mains en se posant la question de savoir pourquoi le président de l’Assemblée nationale a-t-il «fermé la porte» à M. Kabila. Ces gens savent parfaitement que toute tentative de modifier l’article 220 entrainera des conséquences imprévisibles au Congo. Tant qu’on y est, au lieu d’amender les articles 70 et 200 de la Constitution, les défenseurs de cette entreprise ne feraient-ils pas mieux de rentrer à l’Université de Liège pour faire élaborer une nouvelle charte fondamentale faisant du Congo-Zaïre un royaume dont le monarque ne serait autre que Joseph Kabila?

Que pourra faire l’opposition en cas de passage en force de la mouvance kabiliste ?

On ne peut pas dire une chose et faire le contraire. Nous nous en tenons à la déclaration du président de l’Assemblée nationale. De deux choses l’une : soit, on fait de la politique soit on est des fieffés menteurs.

Comment se porte l’opposition ?

L’opposition se porte très bien. L’opposition est multiforme comme partout au monde. Une partie de l’opposition vient de tenir un conclave à Kinshasa. Une autre a organisé un forum.

Pourquoi avez-vous été absent au conclave ?

Je ne suis pas allé simplement parce que les organisateurs m’avaient adressé une invitation. Je n’ai pas apprécié de recevoir celle-ci 48 heures avant l’événement.

Approuvez-vous les résolutions qui ont été arrêtées lors de cette réunion ?

Mieux encore, j’ai pu constater que les participants ont rejoint la déclaration que j’avais lue en ma qualité de 2ème vice-président du groupe «UDPS et Alliés». Dans cette déclaration, je déclinais toute idée de participation aux concertations nationales selon les conditions fixées par M. Kabila.

Quel est l’état des relations entre Etienne Tshisekedi wa Mulumba et les parlementaires qui se réclament de lui dans le groupe UDPS et Alliés ?

Nous entretenons de bonnes relations. Le constat est là : Etienne Tshisekedi a raison sur toute la ligne par rapport à ce qu’il nous avait dit.

Comment se porte le président Tshisekedi ?

Il se porte à merveille malgré son grand âge. La République l’attend et il ne peut en aucun cas céder. Le pays a encore besoin de lui.

Selon vous, de quoi devraient parler les représentants des forces politiques et sociales lors de ces concertations ?

Il y a d’abord le contentieux électoral.

Les kabilistes soutiennent, eux, qu’il n’y a pas de crise politique. Pour eux, les concertations devront tourner autour d’un seul thème : la crise au Nord Kivu. Est-ce votre avis ?

Absolument pas ! C’est une vue très minimaliste voire simpliste. Il n’y a pas que le Nord et le Sud Kivu. Quid de la province de l’Equateur avec les Enyele ? Que dire de la province du Bas-Congo avec les adeptes du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo ? Dieu seul sait le nombre de citoyens qui ont été tués lors de ces événements…

Etes-vous en train de dire que le Congo-Kinshasa fait face à une crise politique ?

Absolument ! Le pays est confronté à une grave crise politique. Il y a, en premier lieu, la contestation de la réélection de M. Kabila. Deuxièmement, il y a ce climat délétère qui caractérise le monde politique congolais. Le pouvoir et l’opposition se regardent en chiens de faïence. Les assises à venir doivent servir de cadre pour crever l’abcès et rebâtir un nouveau Congo.

Etes-vous en train de suggéree un partage du pouvoir ?

J’ai déjà répondu à cette question en vous disant qu’il n’en sera pas question. Ces concertations seront le lieu de se mettre d’accord en prévision des élections provinciales et sénatoriales. Les consultations politiques constituent le fondement de la démocratie. Le personnel politique doit se préparer pour jeter les jalons de cette démocratie à la base avant de revenir sur l’alternance de 2016. Il faut que l’opposition aille à ces élections dans un esprit apaisé. Sain. Un esprit libéré des intimidations s’illustrant par des arrestations arbitraires, le «m’as-tu-vusme»…

Qu’entendez-vous par cette dernière expression ?

C’est une allusion à tous ces compatriotes qui affichent une arrogance de mauvais aloi et gouvernent le pays par défi.

Avez-vous des nouvelles d’Eugène Diomi Ndongala ? Comment se porte-t-il ?

En quittant le Congo, j’avais appris que son état de santé était assez préoccupant. Il règne comme une cacophonie entre la Cour suprême de justice et le procureur général de la République. Cette haute juridiction avait pris un arrêt au terme duquel Eugène Diomi devait être placé en résidence surveillée. Le procureur général de la République s’obstine, lui, à ne pas respecter cette décision. C’est ainsi que Diomi est détenu à la prison de Makala. Ce cas sera évoqué lors du dialogue. Il en est de même du cas de Fernando Kuthino et d’Eddy Kapend. Sans oublier Georges Leta Mangasa, Nono Lutula et tant d’autres. L’opposition entend évoquer également des questions relatives à la diplomatie, l’armée et la police. Nous soulèverons le cas des militaires et officiers ex-FAZ. Nos fichiers sont prêts. Il ne nous reste qu’à les sortir dans le respect des lois.

Respect des lois...

Effectivement! Le problème du Congo à l’heure actuelle est que personne ne respecte la loi. Ce phénomène est perceptible, hélas, dans les milieux de ceux qui exercent une parcelle du pouvoir. Ces hommes et femmes ne font qu’à leur tête. Je les invite à se référer à l’Histoire immédiate de notre pays. Ils apprendront qu’avant eux, il y avait les mobutistes qui ont gouverné le pays durant 32 ans…Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse que je vais vite refermer. Les gouvernants congolais actuels me donnent l’impression de souffrir d’une certaine d’amnésie. En ma qualité de député national du Bas-Congo, je me suis rendu dernièrement à Moanda à l’occasion de l’inauguration de la fibre optique. Dans son speech, le ministre des Postes, télécommunications et NTIC, Tryphon Kin-Kiey Mulumba, a déclaré que le Congo – il n’a pas osé dire le Zaïre – a été le précurseur en Afrique du téléphone cellulaire. Il n’a pas osé faire allusion au président Mobutu Sese Seko…

Que dire, malheur aux vaincus ?

Non ! Malheur aux amnésiques parce que leur temps viendra… J’ai noté également que le nom de l’ancien vice-président de la République, Jean-Pierre Bemba Gombo, n’a pas été cité alors qu’il a été l’initiateur de ce projet de fibre optique, en 2004. J’espère que lorsqu’elles passent sur le Pont Maréchal, les autorités actuelles se disent au moins qu’il y avait un « grand homme » dans ce pays. Nous attendons, dans les délais les plus brefs, le rapatriement des cendres de l’ancien Président à Gbadolite, Nous ne pouvons plus accepter que les restes de cet homme-là restent encore sur le sol marocain. Je voudrais exhorter les intellectuels congolais à écrire l’Histoire de notre pays.

Quel autre sujet comptez-vous soulever lors des concertations ?

Je vous ai parlé des ex-FAZ. Notre pays compte en son sein des généraux qui doivent être parties prenantes dans ces assises. C’est le cas notamment des généraux Kpama Baramoto et Eluki Monga Aundu. Le rôle à venir de tous ces officiers doit être défini. Quel gâchis de voir tous ces officiers et sous-officiers FAZ se tourner les pouces alors que la République a déboursé d’importantes sommes d’argent pour assurer leur formation dans les meilleures écoles et académies militaires ? Il est temps qu’on évoque cette inégalité selon laquelle que pour être élevé dans ce pays, il faut être natif du Nord Kivu, du Sud Kivu, du Maniema et du Katanga. Ce sont là des facteurs qui fragilisent la cohésion tout en menaçant l’unité nationale.

Quels sont les moyens de pression dont dispose l’opposition ?

A un moment ou un autre, le peuple congolais saura comment répondre au dictateur. L’article 64 de la Constitution donne à la population le droit de résister dès qu’il constate que la démocratie est en péril…

Que répondez-vous à ce diplomate occidental, en poste à Kinshasa, qui a dit un jour que «le peuple congolais n’a pas le sang arabe» ?

Ce diplomate a tort. Il a la mémoire courte. Il devrait se référer à 1959 lorsque le peuple congolais a commencé sa bataille pour l’indépendance…

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

© Congoindépendant 2003-2013

http://www.congoindependant.com/article.php?articleid=8181



31/07/2013
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