Lettre ouverte au Recteur de l’Université Pédagogique Nationale
Leny ILONDO Gilbert
Président de l'Association SOS de Kinshasa
Monsieur le Recteur de l’Université Pédagogique Nationale
Avant de prendre notre plume pour écrire cette lettre ouverte, nous nous sommes interrogés comment articuler son introduction. Il fallait en effet éviter de nous lancer dans une aventure épistolaire polémiste dont la réaction nous reviendrait comme une bombe atomique et qui pourrait nous pulvériser. Ayant comme adversaire un scientifique ou un groupe de scientifiques, la prudence commandait que nous nous servions d’un bouclier scientifique. Nous avons donc opté pour le célèbre postulat connu des étudiants congolais et des responsables politiques de notre pays comme fondation de notre combat contre l’acte incivique que vous aviez posé et qui justifie notre dégoût.
En effet, Rabelais disait : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». L’explication philosophique de ce proverbe est disponible sur Internet. Nous nous donnons la peine de la reproduire et de la disséquer. Science, le corps de connaissances, articulées par déduction logique et susceptibles d’être vérifiées par l’expérience. Sans, exprime l’absence. Conscience, c’est celle qui fait de l’homme un sujet, capable de penser le monde qui l’entoure. Rabelais et ceux qui l’ont suivi dans cette perspective assurent que pour être utile à la société, la science doit être conduite par l’âme qui se manifeste à travers la morale.
Ainsi, « pour être humainement féconde et profitable, la science doit être liée à une conscience morale ». Sinon, elle seule conduit l’homme à sa perte, à sa ruine. Comme professeur d’université, vous devriez avoir la connaissance -la science- et aussi des valeurs morales -conscience- vous restreignant de prendre des actes, dirait-on, irréfléchis. En effet, ces
valeurs morales régissent le comportement des individus en société, particulièrement de l’élite que vous êtes censés représenter et surtout former. Ces valeurs, disions-nous, sont le reflet des lois écrites et non écrites, mais admises.
De quoi s’agit-il ? Oui, nous SOS KINSHASA ASBL, nous nous insurgeons contre votre acte de cession d’une partie de la périphérie délimitant l’aire de l’UPN à un sujet étranger pour y ériger une chaine de magasins, des bazars, des souks à la libanaise. Les palissades y dressées témoignent assurément de votre acte répréhensible. Il n’y a pas d’autres mots pour qualifier cela : il s’agit purement et simplement d’une spoliation.
Vous êtes le recteur de l’UPN, pas plus. Vous et votre conseil d’administration n’êtes pas les propriétaires de cette université. Elle est un bien du domaine public de l’Etat. La loi en cette matière dispose que tout bien du domaine public de l’Etat est inaliénable, incessible et imprescriptible. Les dispositions particulières et impératives régissant ce portefeuille sont à cet égard codifiées dans la loi n°73-21 du 20 juillet 1973 et dans d’autres textes réglementaires. Ces dispositions doivent guider votre conscience en sus des autres valeurs reçues de votre tribu, votre parti politique et/ou de votre conseil d’administration sur la gestion du bien public, ce qui n’est manifestement et malheureusement pas le cas. C’est à se demander si :
- Votre nomination à la tête de cette université ne serait pas une erreur ;
- Votre conscience ignore que votre position ne vous confère ni le privilège, ni le droit de céder à quiconque le moindre millimètre carré de l’UPN sans enfreindre la loi précitée ;
- Votre faculté des sciences politiques ne dispense pas des enseignements sur les structures organiques de l’Etat.
Permettez-nous de vous rappeler que vous avez la charge prioritaire de transmettre aux futurs décideurs de ce pays des connaissances, des valeurs morales, le sens de la responsabilité et de l’imputabilité pour que demain, ils contribuent à bâtir un pays avec des repères moulés en forme des lois écrites et non écrites. Donc, vous avez l’obligation de leur inculquer le respect du patrimoine commun, du bien public, et des lois de la république.
Or, regrettablement, en signant cet acte de cession d’une partie de cette université, vous aviez irrévocablement violé la loi.
Cette décision illégale est aussi amorale. Faut-il vous rappeler que vous n’êtes pas le premier recteur de cette institution ? Vos prédécesseurs n’avaient jamais enfreint la loi en morcelant l’UPN au profit d’un tiers et, à plus forte raison d’un sujet étranger. Faut-il encore vous rappeler qu’une éducation d’excellence ne cohabite jamais, alors jamais, avec un souk à la libanaise ? Trouverait-on pareille infamie à Beyrouth, Liban ? Jamais ! Pourquoi alors à Kinshasa, en RDC ? Aviez-vous fait des études dans un environnement d’une telle promiscuité honteuse et avilissante que ce véreux promoteur vous propose ?
Nous ne sommes pas des xénophobes, mais nous connaissons et abhorrons le stratagème de ce sujet libanais, aux pratiques douteuses. Et, après ses nombreuses violations des lois de la République, il devrait se retrouver soit en prison, soit expulsé de notre pays, notamment pour cause de destruction méchante du patrimoine environnemental du Jardin Botanique de
Kinshasa. Son action dans le « développement de notre ville » consiste en la destruction continue du système éducatif provincial en y implantant des souks dans les écoles publiques et privées avec la complicité des inciviques.
Son argumentaire, auquel vous aviez mordu, est d’affirmer que dans 20 ans, l’UPN deviendrait propriétaire de ces bazars. Il faut être simple d’esprit ou un non scientifique pour accepter un tel marché de dupes. Quelle est la relation entre les souks et la production de l’intelligence ?
Votre assistant a contacté et a tenté de faire croire à SOS KINSHASA ASBL que l’UPN tirerait des revenus locatifs pour s’équiper, et ce en complément du budget médiocre lui alloué par le gouvernement central. Chimère !
Nous savons Monsieur le Recteur, qu’une université doit générer les ressources. Oui, une université peut aussi, doit aussi avoir la vocation d’être rentable. Mais, pas de cette manière immonde.
Nous ne voulons pas donner l’impression d’être des donneurs de leçons, mais laissez-nous vous indiquer les standards internationaux! Chaque université doit produire des études, recherches, inventions, innovations, brevets, ouvrages et autres papiers scientifiques à vendre aux tiers au regard de leurs intérêts respectifs. La vente de l’intelligence, la recherche, qui est une marchandise comme toute autre, est une voie qui stimule les talents des étudiants et du corps professoral, car ils gagnent non seulement de l’argent, collectent les brevets, des prix y compris le Nobel, mais acquièrent une notoriété scientifique dans leurs spécialisations respectives. C’est par ses productions scientifiques que l’on classifie une université, l’on reconnaît sa grandeur et l’on mesure sa réputation.
Nous avions « Google » UPN pour inventorier les publications scientifiques de votre institution susceptibles de rapporter de l’argent à votre institution. Pas impressionnant! C’est peut-être la raison pour laquelle vous recourez à cette voie de facilité et de paresse pour générer des
revenus. Inimaginable !
Une université ayant acquis une excellente réputation scientifique est éligible aux contributions financières additionnelles des organismes, des fondations et des mécènes internationaux concernés par l’éducation. Ces financements sont destinés à soutenir les recherches qualifiées d’intérêt public. Pour celles visant le profit ou un intérêt privé ou mercantile, les investisseurs privés sont toujours à l’affût des innovations. Surtout, lorsque la recherche participe activement à l’explication des phénomènes non observables auparavant et dont le questionnement devient une urgence aux préoccupations du moment.
La recherche est donc le socle de la transmission du savoir. La pérennité de cette activité vitale cristallise l’adaptation de l’humain dans notre environnement en constante mutation. L’éducation est intemporelle parce que la recherche en est le moteur. Vous le savez sûrement, n’est-ce pas ?
Les grandes compagnies industrielles et les mécènes financent la recherche et le développement (R&D) dans les universités susceptibles d’accroître notamment leurs productivités. La plupart ont leurs noms gravés sur les murs des facultés ou aux entrées des amphithéâtres. Ils n’atterrissent jamais dans les campus universitaires pour spolier les espaces disponibles, faire du petit commerce ou souiller l’environnement serein et le caractère mythique de la production de l’intelligence. C’est difficilement acceptable que la construction des bazars et souks par ce soit disant promoteur immobilier vous ait séduit. Car, ce n’est pas du mécénat. C’est une pure insulte à l’élite, un déni de statut d’élite et de producteur d’élite que vous et toute la faculté représentez. Par cet acte, l’UPN ne sera plus la vitrine de la science, mais la face de la honte.
Aujourd’hui, l’air du temps, contribution aux chantiers de la république : pourquoi ce sujet libanais ne va-t-il pas rénover ou moderniser le petit marché de l’UPN, juste en face de votre institution, en y érigeant des nouvelles échoppes couvertes protégeant les mamans vendeuses contre les intempéries ? Y a-t-il meilleur site pour son « investissement » que le marché UPN? La rentabilité est assurée car il se fera rembourser par les locations de ces échoppes. Pourquoi alors vouloir désacraliser l’UPN? Pourquoi vouloir mêler l’éducation à la corruption?
Vous devez en toute conscience -morale- arrêter ce partenariat illégal qui répand l’immoralité sur l’UPN et instille le venin d’incivisme dans l’esprit des étudiants à travers le non respect du bien public. Plus tard, vos étudiants, devenus des « responsables comme vous », prendront exemple, un mauvais, un très mauvais, sur cet acte ignominieux transpirant une corruption patentée.
Nous demandons au Ministre des Infrastructures, Travaux Publics et Reconstruction, gardien du patrimoine public de l’Etat de faire stopper cette honte à notre intelligence collective, à notre dignité d’élite et de citoyen de la RD Congo.
Voici un exemple concret sur lequel le Procureur Général de la République devrait ouvrir une information judiciaire au sujet d’un bien du domaine public de l’Etat acquis grâce aux deniers publics. En français facile : tolérance zéro.
Enfin, Monsieur le Recteur, nous sommes prêts à débattre avec vous publiquement sur votre acte incivique. Comme savaient le faire les Chevaliers d’une autre époque, hommes d’honneur, de valeur et de grande moralité, vous avez le choix du format.
Fait à Kinshasa, le 1er janvier 2011
Leny ILONDO
Président
Ornelie LELO
Chargée de la Communication
Leny Ilondo
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