Mission d’observation internationale du Centre Carter en RDC – Elections présidentielle et législatives du 28 novembre 2011
Le Phare n°4222 du
lundi 12 Décembre 2011
Lundi, 12 Décembre 2011 10:58
Déclaration post-électorale de la compilation et annonce des résultats provisoires de l’élection présidentielle. Pour le Centre Carter les résultats provisoires des élections présidentielles annoncées par la commission électorale nationale indépendante le 9 décembre en République Démocratique du Congo manquent de crédibilité. Les résultats de la CENI annoncent la réélection du président Joseph Kabila avec 49 pourcent des suffrages suivi par Etienne Tshisekedi avec 32 pourcent et 7.7 pourcent pour Vital Kamerhe. Le taux de participation national est de 58 pourcent.
Les observateurs du Centre Carter ont indiqué que la qualité et l’intégrité du processus de compilation a varié à travers le pays, allant de la bonne application des procédures à des irrégularités graves, y compris la perte de près de 2000 plis contenant des résultats de bureaux de vote à Kinshasa. Basé sur les résultats, détaillées publiés par la CENI, il est également observé que dans différents endroits, notamment plusieurs circonscriptions de la province du Katanga, là où ont été constatés les taux de participation très élevés de 99% voir 100%, les résultats étaient favorable au Président sortant Joseph Kabila. Ces observations ainsi que la mauvaise gestion 1u processus de ramassage et de compilation des résultats compromettent l’intégrité de l’élection présidentielle. Les candidats et les partis politiques ont un temps limité pour soumettre leurs plaintes à la cour suprême et la compilation des élections législatives est toujours en cours.
Les problèmes observés durant la phase de compilation et les
chiffres annoncés sont aggravés par les difficultés d’accès des observateurs
aux centres de compilation à travers le pays et à l’absence d’accès officiel au
centre national des résultats à Kinshasa. Le Centre Carter est donc dans
l’incapacité de fournir une vérification indépendante de l’exactitude de
l’ensemble des résultats ou du degré dans lequel ils reflètent la volonté du
peuple Congolais.
Les défis rencontrés par la CENI ont été d’autant plus évidents qu’ils l’ont
conduite à reporter de deux jours l’annonce des résultats prévue le 6 décembre
pour ne les annoncer que le 9 décembre après midi au siège de la CENI à
Kinshasa. Les candidats à la présidentielle et le peuple Congolais sont à
féliciter pour avoir attendu l’annonce des résultats provisoires dans la paix
et le Centre encourage tous les acteurs à maintenir le même niveau de
responsabilité. Il est également de la responsabilité des acteurs politiques
Congolais et des institutions de mener leur propre examen des résultats des
élections et d’identifier des solutions politiques. Le Centre Carter est prêt à
appuyer ces processus, si cela lui est demandé et adéquat.
Le Centre Carter a maintenu 26 équipes d’observateurs déployés à Kinshasa et dans les 10 provinces pour le dépouillement et la compilation. Notre évaluation est basée sur l’observation directe issue des visites de 25 centres locaux de compilation des résultats (CLCRs) où les résultats ont été agrégés.
Processus de compilation
La loi électorale prévoit que, immédiatement après le dépouillement, les fiches des résultats soient signées par tous les membres du bureau de vote et par les témoins des partis politiques. Une copie de la fiche des résultats est donnée aux témoins, une copie est affichée à l’extérieur du bureau de vote, les procès verbaux de dépouillement, les fiches des résultats et autres documents électoraux (urnes, bulletins de vote comptés et bulletins inutilisés) sont envoyés au CLCR. Tous les matériaux sont censés être collectés selon le plan de ramassage de la CENI et transportés en sécurité au CLCR.
Les chefs des centres de vote ont été responsables du ramassage et de la livraison de tout le matériel de leur centre de vote comprenant quatre plis d’enveloppes contenant les résultats pour chaque bureau de vote. Les quatre plis sont répartis ainsi: un premier pli pour le CLCR, un second pour la CENI, un troisième pour le secrétaire exécutif provincial de la CENI (SEP) et un quatrième pour la Cour suprême (CSJ). A l’arrivée au CLCR, les chefs de centre de vote se présentent à un bureau de réception, pour enregistrer l’ensemble de leur matériel électoral. Si tout le matériel a été pris en compte, les chefs de centre de vote ont été libérés de la responsabilité et renvoyés chez eux.
Dès la réception, le pli des résultats pour les CLCR est
reçu au poste de collationnement, tandis que les autres sont envoyés à.
l’archivage pour ‘ une transmission ultérieure à leurs destinataires finaux.
Les documents passent par quatre postes afin de vérifier la cohérence des résultats
et à la fin les données sont saisies sur ordinateurs et compilées pour
transmission à la SEP et finalement affichées au niveau du CLCR. Une des étapes
prévoit que les documents dont les chiffres sont inconsistants puissent être
reconstitués sur la base de la fiche de pointage et la fiche de résultats par
une équipe de trois membres de la CENI. Après la compilation des résultats de
toute la circonscription, les résultats des différents CLCRs sont transmit au
SEP et sont ensuite regroupés par province et envoyés à la CENI pour la
publication des résultats provisoires.
Conclusions générales
Peu de temps après le jour des élections, des résultats non officiels ont commencé à circuler en ligne et par SMS. D’autres messages de menaces ont été envoyés aux membres de missions nationales et internationales d’observation électorale. Le 3 Décembre, le ministre de l’Intérieur a ordonné la suspension de l’émission et la réception de SMS justifiée par la distribution massive de menaces de mort et d’appels à la violence. Cette mesure est une restriction excessive à la liberté d’expression alors que les auteurs de ces messages auraient pu être identifiés et poursuivis par les voies normales de poursuites judiciaires.
D’autres restrictions exorbitantes ont été appliquées aux
médias. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication a suspendu
deux réseaux de diffusion sans décision officielle ainsi qu’un journal proche
de l’opposition. A Mbuji-mayi, la police a fermé la RLTV sans raison.
1 Loi électoral Art, 68 et 69
2 Loi électoral Art, 68
En comparaison avec les élections de 2006, les procédures de
dépouillement et de compilation sont demeurées similaires dans leur complexité
qui pourrait avoir contribué à l’application inégale des procédures entre les
CLCRs et créer une possibilité de manipulation des résultats. Comme ce fut le
cas il y a cinq ans, les défis logistiques de collecte, de sécurisation et
d’enregistrement, des résultats a causé des difficultés majeures pour
lesquelles la CENI a montré un niveau insuffisant dé préparation. Le personnel
de la CENI dans les centres de vote et dans les CLCR s eu à travailler durant
des jours, de très longues heures dans des conditions difficiles.
Dans la plupart des cas observés, les CLCRs ont été correctement sécurisés par
la police, cependant dans 15% des cas, leur comportement peut avoir intimidé le
personnel du CLCR. Dans 15% des CLCRs observés, la réception et la manutention
du matériel électoral sensible n’a pas suivi les procédures établies Les
témoins des candidats étaient présents ‘dans près de 90% des cas, mais leur
positionnement dans les CLCRs ne leurs permettez pas un accès à l’information
durant toutes les phases de la compilation.
Lorsqu’un recomptage des bulletins de vote était nécessaire,
les témoins étaient présents dans seulement une faible majorité des cas
observés. L’archivage a été signalé désorganisé dans 25% des cas observés et
les plis des résultats à destination du SEP, de la CENI et de la Cour suprême
n’a pas quitté le CLCR avant la fin de la compilation. Le matériel de
transmission électronique (VSAT) était présent dans 73% des cas observés, mais
les observateurs n’ont pas pu confirmer si le matériel était effectivement
opérationnel et si l’utilisation était cohérente.
Dans de nombreux cas, les chefs de centre patientaient à l’extérieur du CLCR
avec leurs plis pendant plusieurs heures et parfois plusieurs jours sans abri
et sans nourriture. Dans la plupart des cas, le matériel électoral
(principalement les bulletins de vote utilisés et non utilisés ainsi que les
urnes) étaient stockés en dehors du CLCR, la plupart du temps sans protection
contre les intempéries. Plus important encore, des sacs de bulletins de vote et
les enveloppes contenant les résultats et d’autres documents provenant des bureaux
de vote ont été ouverts par les chefs de centres de vote à l’extérieur avant
d’être officiellement reçu. Apres la réception, les conditions de travail et de
stockage variaient selon les CLCR. Dans certains cas, les sacs de bulletins
étaient empilés dans tout espace disponible ou renversés sur le sol ou ils
étaient piétinés par le personnel par manque d’espace. Dans les centres plus
spacieux le matériel était entreposé dans des entrepôts, empilé de manière plus
ordonnée et quand il était laissé dehors, était couvert par des tentes et des
bâches. Dans les lieux ou le manque d’organisation dans l’entreposage du
matériel prévalait il a été presque impossible au personnel de la CENI de
retrouver le matériel perdu.
Dans plusieurs CLCR observés (entre autres Borna, Matadi, Bandundu, Mweka) les observateurs du Centre Carter ont trouvé un processus de compilation qu’ils ont jugés acceptable ou satisfaisant dans 60% des cas. L’évaluation des autres sites varie, avec 40% jugés pauvres, fondé sur une évaluation globale de l’application des procédures.
Manque de crédibilité du processus de compilation
Le processus de compilation à Kinshasa et à Lubumbashi s’est avéré particulièrement problématique. Le manque de préparation évident dans ces deux grandes villes a entraîné de graves irrégularités et a produit un manque de crédibilité dans le processus de compilation. Les déficiences généralisées décrites précédemment se sont déclinées à l’extrême sur ces deux sites. Le matériel sensible est arrivé par différents moyens de transport, officiels et privés, et ont été gérés avec une très grande désorganisation, parfois avec des enveloppes de résultats ouvertes et entreposées à l’extérieur avec peu, voire aucune protection contre les éléments (après une tempête de pluie, des fiches. de résultats ont été mise à sécher sur un étendoir), les chefs de centres de vote et de dépouillement ont été vus ouvrant des enveloppes scellées contenant des fiches de résultats et complétant ou altérant les documents électoraux en violation des procédures. Tout ceci, couplé avec une désorganisation de ces centres a fait que, certains résultats de bureaux de votes n’ont pas été trouvés. A Kinshasa, près de 2000 plis des résultats des bureaux de vote ont été perdus (représentant à peu près 350,000 électeurs) et ne seront jamais comptés. A cela viennent s’ajouter 1,000 autres plis qui ont été perdus dans le reste du pays (représentant 500,000 électeurs).
Aussi, à Kinshasa l’application inégale des procédures a conduit à des débats houleux sur la façon de traiter les procès verbaux non signés, conduisant souvent à une interprétation partisane des procédures. Dans certains cas, des documents contestés auraient été transférés à la Cour suprême, ce qui reste à ce stade impossible à confirmer. Le personnel du CLCR semblait parfois être malformé el dans certains cas pas formés du tout selon les dires de leurs collègues. Par ailleurs, une mauvaise application des procédures de compilation due à une mauvaise communication donne la possibilité de manipulation des résultats d’autant plus que le personnel de la CENI, les témoins des partis politiques et les observateurs n’étaient pas en mesure de vérifier les procédures correctes.
L’accès physique et l’accès à l’information pour les
observateurs et les témoins ont été insuffisants et variaient selon les jours.
Le personnel des CLCR a manqué de transparence dans le processus de compilation
des résultats. Dans certains cas, des membres hauts placés de la CENI ont
directement entravé l’observation du Center Carter. Par exemple, à Lubumbashi,
les observateurs du Centre Carter ont entendu le président du CLCR instruire
son personnel au cours de leur formation de ne pas donner la moindre
information aux observateurs. Des instructions similaires ont été données au
personnel lors des opérations de compilation à Kinshasa.
La Loi électorale dispose que chaque CLCR doit envoyer les résultats compilés
de sa circonscription au secrétaire exécutif provincial qui à son tour expédie
les résultats compilés de sa province au siège de la CENI à Kinshasa pour
l’annonce des résultats nationaux. Il apparaît que seuls les procès verbaux des
CLCR ont été envoyés à la CENI malgré le fait que celle ci reçoit sa propre
enveloppe avec sa copie originale des résultats des bureaux de vote. La comparaison
physique au niveau national des procès verbaux avec les résultats compilés par
le CLCR n’a pas pu être observée et par conséquent n’a pas pu être analysée par
le centre. Bien que formellement demandé à la CENI, aucun accès officiel au
Centre National de Traitement (CNT) n’a pas été accordé aux observateurs du
Centre Carter ni à d’autres organisations. La transmission et la gestion des
données a été conduite d’une manière non transparente éliminant une importante
possibilité de renforcer la confiance dans les résultats finaux par la
possibilité de vérifier la gestion des résultats compilés par les observateurs
et témoins des partis politiques (la Loi organique de la CENI contient. une
mesure imposant la transparence dont l’esprit et la lettre devraient
s’appliquer au processus électoral entier, même si des dispositions spécifiques
ne sont pas spécifiés dans la Loi électorale). Les résultats provisoires
annoncés par la CENI révèlent plusieurs données qui manquent de crédibilité.
Dans la province du Katanga, deux résultats sont particulièrement remarquables:
Le CLCR de Mulemba Nkulu rapporte une participation de 99.46% avec 100% des
voix, soit 2,666,886 pour Joseph Kabila et moins de 0.5% de votes nuls. Le
territoire de Kabongo est similaire avec un fort taux de participation et
pratiquement 100% des suffrages avec 227,885 voix pour Joseph Kabila et
seulement 3 voix pour les autres candidats. Au Katanga, huit CLCR ont un taux
de participation supérieur à 80%, bien au dessus de la moyenne nationale de 58%
avec un résultat d’au moins de 89 pourcent pour Kabila.
L’examen des endroits où le candidat présidentiel Etienne Tshisekedi a récolté un nombre de suffrages élevé ne révèle pas la même coïncidence de récupération parfaite des données des bureaux de vote, ni de la participation extrêmement élevée. Bien qu’Etienne Tshisekedi ait reçu un nombre très élevé de voix dans une grande partie du Kasaï Occidental, dans 11 des 12 CLCR de la province le taux de participation était inférieur à la moyenne nationale. Au Kasaï Oriental où sur 9 CLCR où il a reçu un minimum de 90% de vote, le taux de participation s’est retrouvé très similaire à la moyenne nationale.
Cette déclaration ne remet pas en cause l’ordre des résultats des candidats tel qu’annoncé par la CENI mais précise que le processus de compilation est non crédible, cependant une analyse plus détaillée des résultats préliminaires pourrait faire apparaître d’autres tendances, et variations qui suggèrent un dépouillement et une compilation qui manquait d’application uniforme de procédures pour tous les électeurs congolais. Une analyse supplémentaire sera fournie dans les prochains rapports du Center Carter.
Contexte : La mission d’observation des élections du Centre Carter a été mise en place en République Démocratique du Congo depuis le 17 Août 2011, suite à une invitation de la CENI. La mission était dirigée par l’ancien président de Zambie, Rupiah Banda Bwezani et le vice-président du Centre Carter Dr John Stremlau. La mission est composée de 70 observateurs de 27 pays distincts.
Le Centre remercie la CENI et tous les Congolais qui ont accueilli les observateurs du Centre Carter et donner de leurs temps pour les rencontrer. La mission d’observation du Centre en RDC est effectuée conformément à la Déclaration de Principes pour l’Observation Internationale d’Elections et le Code de Conduite qui ont été adopté aux Nations Unies en 2005 et ont été approuvés par 37 organisations d’observation électorale. Le Centre évalue le processus électoral sur la base du cadre juridique national de la RDC et de ses obligations pour la tenue d’éjections démocratiques contenues dans les accords régionaux et internationaux.